Portrait d’entrepreneure : Nadia Duguay, cofondatrice et codirectrice d’Exeko

Portrait d’entrepreneurs souhaite mettre en lumière des entrepreneurs inspirants, cachés dans l’ombre, en allant à leur rencontre et en leur posant des questions sur leur parcours, leur cheminement et leurs obstacles.

Et cette fois-ci, c’est le portrait de Nadia Duguay que nous allons te présenter.
Nadia est connue partout au Québec pour ses nombreuses conférences sur la médiation culturelle et intellectuelle et l’entrepreneuriat social. Aussi connue pour avoir fondé l’organisation Exeko.

Nadia Duguay - Exeko

Bonjour Nadia, veux-tu nous dire d’où tu viens et ton parcours avant Exeko?

Je suis issue avant tout de la Mer, je suis gaspésienne, mes parents sont pêcheurs. Mon père dit que l’océan coule dans ses veines, je pense qu’elle coule des siennes aux miennes. J’ai un parcours très diversifié, avec des racines en arts visuels et médiatiques (contemporain, multimédia, performatif).
J’ai notamment été vidéojockey juste avant que ça devienne toute une mode, ce qui m’a amené en création vidéographique autant avec l’opéra, le théâtre, le cirque… J’ai également fait une formation en coopération internationale et une seconde en stratégie pédagogique.
Pendant les grèves de 1996 et 2005, j’ai été très impliquée en tant que militante pour l’accès à l’éducation, en utilisant le pouvoir de l’art comme porteur de transformation.
Puis, j’ai cherché à faire des croisements plus étroits entre l’engagement social, la réflexion sur le potentiel d’explorer le vivre ensemble par les arts, et ce, pour faire sens à travers des lectures en philosophie ou en sociologie.
J’étais en quête de sens et à cheval entre mener un projet social cohérent avec ma démarche et celle de réenchanter le quotidien.

C’est là que j’ai cofondé Exeko.

Parlons-en, c’est quoi Exeko ?

IdAction - ExekoLa naissance d’Exeko en 2006 fut rapidement suivie de la crise économique de 2008, alors que nous étions toujours en démarrage. La vision de l’époque n’était bien sûr pas aussi claire qu’aujourd’hui, mais nous voyions déjà les prémisses des enjeux centraux autour desquels nous articulons maintenant nos travaux. Exeko, c’est une sorte de fabrique d’égalités. Nos activités sont tournées vers une meilleure compréhension des mécanismes du vivre ensemble, une transmission et une cocréation plus égalitaire des savoirs et une reconnaissance du pouvoir de la différence.

Au cœur de cela, nous faisons face à un enjeu bien réel, il s’agit de la hiérarchisation des savoirs. Je m’explique; nos relations sociales sont alimentées par le fait qu’on présume au quotidien de l’inégalité des intelligences des uns et des autres. Soyons francs, entre nous, tous les jours, nous maintenons et nourrissons même les inégalités, sans le dire et parfois sans même s’en rendre compte. C’est tout le tragique de l’histoire… À la fois socialement et individuellement, nous avons intégré plusieurs conventions qui nous placent dans un échiquier invisible. Selon notre poste, notre position, nos diplômes, notre accumulation de connaissances ou encore notre salaire (!), notre culture, notre genre, etc. ; même si c’est non dit, nous nous percevons tous, les uns les autres, dans un ordre hiérarchique. Comme le tout est nourri d’un complexe de supériorité et/ou d’infériorité, le cocktail peut être des plus néfastes… À Exeko, ces problématiques sont au cœur de notre travail.

Exeko pose côte à côte 3 fondamentaux qui nourrissent notre mission :

En gros, notre mission est un élément malléable qui s’axe selon ces 3 fondamentaux.

Quelles difficultés as-tu rencontrées durant le démarrage de ton entreprise?

Faire comprendre tout le volet théorique de notre objectif social est très difficile pour moi. On se fait dire que nous devrions être plus simples, or, une société réflexive se doit de plonger dans une certaine complexité. Les enjeux et les humains, eux, sont loin d’être simples!

Trickster (c) Sarah Bengle

Leur initiative Trickster – Crédit photo : Sarah Bengle

Une autre difficulté concerne le format très mouvant d’Exeko, pour faire notamment comprendre que la structure juridique n’est qu’un moyen pour nous d’arriver à nos fins. Ce qui, il y a 10 ans, n’était pas si évident. Au départ, nous recherchions une autonomie financière via une structure qui pouvait nous le permettre, en toute confidence on se sentait un peu seul dans notre situation. Étant aujourd’hui un organisme de bienfaisance, ça ce qui nous permet d’émettre des reçus et d’être maintenant autant financés par le public que par les grandes fondations privées.

Je n’ai pas l’impression qu’au Québec nous avons des options permettant à la fois l’agilité, la proactivité et un suivi rigoureux afin d’éviter les dérives. Ceci dit, nous sommes devant une urgence d’agir, l’idée est simplement de ne pas attendre une forme juridique appropriée pour avancer… Mais bien sûr, nous gardons l’œil ouvert!

Pour finir, nous sommes une structure très ouverte, ce qui amène son lot de difficultés! Nous ne sommes positionnés ni strictement en éducation, en culture ou en services sociaux, mais nous sommes situés entre tous ces secteurs. Quotidiennement, nous travaillons tout autant avec des organismes publics, des centres de recherche, des organisations de première ligne, des musées ou encore des écoles.
C’est ardu de nous mettre dans une case ou de nous définir en quelques mots. Et, honnêtement, j’espère bien que notre espèce (intersectorielle et interdisciplinaire) se multipliera dans les prochaines années encore plus rapidement qu’elle le fait déjà!

Aujourd’hui, quels sont tes objectifs à atteindre et les défis que tu rencontres?

Pérenniser et autonomiser nos actions sont évidemment au centre de mes préoccupations, mais parallèlement à ça, mon objectif personnel est de réussir à bien mettre sur pied notre laboratoire d’innovation sociale. Par ce biais, participer à faire prendre conscience de l’importance de la recherche et de l’expérimentation en sciences sociales, mais de manière délocalisée des centres académiques!

Participer au maillage et au dialogue entre le communautaire, l’entrepreneuriat social, l’innovation sociale, les institutions plus traditionnelles et les citoyens et citoyennes, sans prendre pour acquis que l’un est meilleur que l’autre. Ceci dit, je ne crois personnellement pas que les frontières sont si franches…

Dans un avenir rapproché, je souhaite créer (ou participer à) une communauté de pratique « miroirs-critiques » dans le milieu de l’innovation sociale en générant plus d’alliances entre l’académique et le communautaire.
Afin de mieux s’attaquer à ce monde complexe et à la croissance des inégalités de toutes sortes, il est nécessaire de trouver des voies de collaboration tout en favorisant l’expression des différences de pratiques. Pour cela, nous avons besoin de mieux comprendre comment utiliser la critique à bon escient, hors de l’ad hominem et nourrie d’une perspective historique.
Je milite oui, et souhaite travailler à l’émergence de communautés, de processus de travail et d’outils concrets permettant d’entrevoir un secteur fort et audacieux; fondé sur une action à la fois critique et informée.

Qu’est-ce qui t’inspire dans la vie? Fais en sorte de t’aider à garder un équilibre de vie?

L’improbable et la poésie.
Il n’y a rien de mieux qu’une rencontre improbable, celle qui défie les cadres prédéfinis dans sa forme ou sa fonction… Ce qui m’inspire encore plus, c’est quand je m’attendais au pire d’une rencontre et que le meilleur arrive!

La poésie, elle, me manque à tout moment. Qu’elle soit en mots, en gestes, en manifestes… Elle nous fait voyager entre sens et sensation tout en laissant s’embrasser savoir et création. Toujours unique, elle peut être chuchotée, chantée, slamée ou graffitée.

Évidemment, si je pouvais entrevoir un système poétique et plus improbable. 😉

idAction (c) Mikael Theimer

L’initiative idAction – Crédit photo : Mikael Theimer

Quel est le meilleur conseil qu’on t’ait donné?

Celui qu’on ne vaut pas plus que les autres, mais aussi que personne ne vaut plus que nous. Enseignement d’une magnifique sagesse que oopoill parents m’ont maintes fois répété!
Ai-je besoin d’ajouter qu’Exeko, ça veut dire d’égal à égal?

Et toi, as-tu des conseils à donner à nos chers entrepreneurs en devenir?

J’en ai trois qui me viennent spontanément.

Tes évidences ne sont pas celles des autres; douter est le meilleur ami qu’on puisse avoir, un bon moteur en innovation sociale qu’on doit nourrir.
Douter ne veut pas dire perdre pied, et, de toute façon, perdre pied est parfois nécessaire.

Inspirez-vous des enfants. Ces derniers demandent 7 fois « Pourquoi? », pour comprendre quelque chose.
Quand on se lance en innovation sociale, c’est impératif de se (re)poser 7 fois la question du pourquoi de nos actions, jusqu’à atteindre un sens profond qui résonne en nous. Si on n’arrive pas à y répondre, ça nous informe tout de même de quelque chose!

Arrêtez de penser qu’on va changer le monde, que c’est nouveau et qu’on va y arriver tout seul!
L’entrepreneuriat social est parfois déconnecté d’une perspective historique.
Dites plutôt que vous prenez une posture dans laquelle vous participez à une transformation déjà en cours!

Alexandre Alves (K-RIBOU) & Nadia Duguay (Exeko)

As-tu été inspiré par la sagesse et la fougue que possède Nadia Duguay? Commente en bas ce que tu en as pensé. Tu peux aussi lui poser des questions.
Découvres-en plus sur Exeko en allant sur leur site web.

Tu veux en savoir plus sur la présomption d’égalité des intelligences? Exeko a réalisé une vidéo à ce sujet, va voir.

Merci beaucoup à Nadia pour le temps accordé à notre série de Portraits d’Entrepreneurs.
Le prochain portrait d’entrepreneur sera annoncé sur notre page Facebook.

À très vite pour un(e) autre entrepreneur(e) inspirant(e)!

À propos de Alexandre (K-RIBOU)

Fondateur de la communauté K-RIBOU depuis 2014, j'oeuvre à connecter les humains ensemble autour d'initiatives sociales, d'un entrepreneuriat plus centré sur l'humain. La communauté K-RIBOU vise à proposer le meilleur de l'entrepreneuriat, tant au niveau de son calendrier d'événements que des ressources disponibles sur son blogue.

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